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Tranche de diaporama

UN ACCOUCHEMENT SOLITAIRE ...
Making of de " Essai sur ma haine ".
par Jacques van de Weerdt


Mon idée a résulté d'un concours de circonstances. D'abord, le hasard a voulu que je passe Gare Centrale à Bruxelles deux jours après l'assassinat de Joe Van Hoelsbeck, là où des fleurs marquaient encore l'endroit de l'agression. Ensuite je terminais la lecture de "L'avenir de la haine" du psychanalyste JP Lebrun.

Opportuniste je fus ! Oui, j'assume. J'ai moi-même souvent déploré que le diaporama était un medium académique où le bruit du monde extérieur s'entendait bien peu, un monde fait de petites fleurs, de jolies musiques, de girafes du Kenya et de tasses de thé ! Un monde asexué en quelque sorte ! L'événement était là et j'ai sauté dessus. Car j'avais quelque chose à dire : la thèse de Lebrun sur la haine.
essai sur ma haine
Cette idée a jailli tout de suite. Analyser le chemin de la haine en nous. Mieux : analyser ce chemin en moi-même ! Laisser un moment la sauvagerie, la souffrance, la violence envahir mon âme... Et regarder ! Me regarder. C'était une plongée dans les profondeur de mon âme, guidée par le fil que Lebrun avait jeté : la haine est en nous, dès les premiers jours de la vie, il faut vivre avec elle, négocier et, au mieux, l'emprisonner.
Mais, tout d'abord il faut la reconnaître, la voir. Maîtriser cette sidération, cet emballement, ce plaisir meurtrier qu'elle provoque et, ensuite, contrôler l'incendie pour qu'il ne tue pas tout. Et puis faire le constat : la haine est impossible, strictement et totalement impossible.

Cette plongée dans nos abjectes profondeurs, comme lors des premières découvertes sur l'inconscient que fit Freud au 19e siècle, ne provoque que de la déception. Ainsi en nous, en nos profondeurs intimes, il y a cette boue mêlée de sang ? Nous sommes ce cloaque de pulsions de mort... Quelle horreur ! Soit, mais si c'est la vérité, autant le savoir.

C'est ici, je pense, que certains spectateurs décrochent. D'un, ils n'admettent pas ce jeu d'acteur - jusqu'à l'absurde et l'horreur - que fait la haine quand on lui laisse la parole. C'est jugé excessif. Bien sûr que ce l'est ! De deux, il y a le réflexe conditionné – tout à leur honneur d'ailleurs – qui consiste à ne pas "entrer dans ce jeu-là" car c'est le mal. Et toute notre éducation s'y oppose. Mais moi je voulais regarder le processus et tenter de comprendre ce qui se passe quand on n'est pas équipé de tout ce système de défense. Certains n'admettent pas cette dangereuse curiosité... Or, pour bien agir, il faut d'abord comprendre.

L'accouchement donc, fut difficile et solitaire. Pour toutes les raisons citées ci-dessus, les premières projections du montage furent accueillies par... un grand silence ! Tant du côté de mes proches, que de mes amis, que du club. Quoique, au club Diafocam, je fus aidé pour améliorer le message: ("non je ne fais pas l'apologie de la haine, je l'étudie). Et par JP Petit qui m'a aidé à rythmer le diaporama.

Moi, j'étais habité par cette conviction que Lebrun m'avait transmise : attention, la haine est en nous, même si nous sommes de braves gens, méfions-nous et surtout donnons aux enfants les outils pour la maîtriser. Mais, les premières séances de projection, pas plus que les concours en province de Liège et en Belgique, ne récoltèrent le moindre succès. Les Belges sont des gens discrets qui n'aiment pas les cris ni la violence.
essai sur ma haine
Nous, auteurs de diaporamas espérons tous que notre message passera, qu'il sera compris et approuvé. Aimé même aussi, dans les meilleurs des cas. C'est pour cela que nous produisons. Ainsi donc lorsqu'un auteur voit son diaporama, qu'il croyait fort, ne recueillir aucune approbation, il se prend à douter.

Alors plusieurs voies se présentent à lui pour expliquer. "Les gens ne comprennent rien!", ou, plus profond : "j'ai manqué mon but, je ne suis pas arrivé à me faire comprendre"... Et alors le doute nous envahit, nous souffrons... Ceci d'autant plus que, cette fois, la garde rapprochée, c'est-à-dire la famille et les amis restent, eux aussi, de glace.

J'en étais là quand le coup de tonnerre d'Epinal a retenti dans mon ciel ! Là, dans l'Est de la France, il y avait 4 ou 5 personnes qui avaient accepté mon cheminement, qui avaient suivi ma logique, qui avaient compris l'argument et approuvé la démarche ! Alleluiah ! Plus fort encore, le jury anglais du Geoffrey Round, deux mois après, me refait le même cadeau. Merci messieurs.

Nous sommes fragiles, nous, mêmes auteurs confirmés... car nous cherchons encore et toujours cette confirmation. Et si le succès ne vient pas, ne nous apporte pas cet oxygène mental, nous risquons de dépérir, de ne plus nous faire confiance, de ne plus oser. C'est cela : oser ! Car lorsque j'ai écrit ce texte, j'ai dû lutter contre moi-même (je suis un Belge comme les autres !) pour permettre à la folie de faire irruption dans ma tête, lui permettre de crier, de brûler, de dire des choses horribles jusqu'au vertige.

Vertige de la création, on l'a souvent dit : la nuance entre l'artiste et le fou est bien mince parfois : souvenons-nous des délires de Hamlet qui pourtant est considéré comme un héros humain. Il faut oser s'aventurer en terrain dangereux, au risque de la désapprobation, du rejet de la part de ses semblables. Et puis l'œuvre part ! Elle nous échappe et tombe dans les mains des autres qui la jugent et, parfois, la condamnent. Et quand cette œuvre part, nous ne savons plus si elle est bonne ou mauvaise. Nous ne savons plus si elle va plaire ou intéresser. Mais le tout n'est pas de plaire uniquement. Il faut parfois dire des choses plus difficiles, au-delà, bien au-delà des sourires approbateurs. Et parfois on se trompe : le message ne passe pas, ou il passe mal ou, pire, est compris à l'envers. J'en ai eu l'expérience avec "Inch Allah" qui fut compris comme un diaporama raciste ! Et sans doute, dans le patrimoine artistique mondial y a-t-il des œuvres restées inconnues ou négligées qui sont de vraies richesses mais qui, à leur époque n'ont pas été comprises. Parfois on redécouvre un Bach, petit organiste de province ou un douanier Rousseau, personnage un peu fou...
essai sur ma haine
Tout cela pour dire que l'heur de plaire, ici et maintenant, est un paramètre hasardeux et injuste mais qu'il conditionne notre vie artistique.

Mais l'intérêt est là : aller au-delà de la plaisance, de l'entertainment comme disent les Anglais. Le diaporama n'est pas uniquement un délassement, il peut être autre chose, comme les autres arts. La littérature n'est pas là uniquement pour plaire, elle fait parfois des révolutions ! Ou comme Rodin, lorsqu'il sculpta les Bourgeois de Calais, voulait montrer des hommes allant à la mort plutôt que des héros arrogants.

Ma conclusion serait que, d'abord, on n'est pas prophète en son pays. Que s'il n'y avait pas eu les festivals dans divers pays d'Europe (surtout en France et en Angleterre) je n'aurais sans doute plus fait de diaporama depuis longtemps... Ensuite, qu'il faut aller au bout de son effort, malgré les désapprobations parfois, surtout si elles portent sur le fond du montage. Et même si on se trompe, même si c'est mauvais à première vue, il faut insister au moins un peu pour savoir s'il n'y a pas, quelque part, des hommes qui vont nous comprendre. Il sera toujours temps, si alors rien ne se passe, de laisser tomber les bras.

Il faut donc oser parfois, faire confiance à son instinct pour aller au bout de son raisonnement, de son idée avant de s'avouer vaincu. Ce n'est pas une règle générale. Ce serait plutôt une exception intéressante.

Jacques van de Weerdt
Avril 2007




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