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Tranche de diaporama

Un amour de gomme
– l'aventure d'un diaporama –

par Bernard Basse


"Un Amour de gomme" n'est pas qu'un diaporama, c'est aussi à lui seul une histoire, que dis-je, une aventure. Permettez-moi de vous la raconter et de croquer du même coup dans la madeleine de la nostalgie.

Cette histoire donc, commence à Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire) où un célèbre festival, dit de la Rose d'or, réunissait une fois par an le temps d'un week-end tout ce que le monde du diaporama connaissait de passionnés. Je n'étais alors que spectateur même si je pratiquais déjà l'exercice de cet art sans oser franchir toutefois le cercle des projections privées. Une année j'ai eu l'occasion d'assister à la projection d'un des fameux "Valdabrin" et ce fut pour moi un choc. Visuel s'entend de par le choix du dessin comme source de l'image. On songe inévitablement à la bande dessinée mais aussi à l'univers du dessin animé. Cette démarche donnait au montage un côté spectaculaire qui m'a séduit d'emblée. De là à vouloir me lancer à mon tour dans la réalisation d'un diaporama de ce type, il n'y eut pas même un pas.
Un amour de gomme
L'aspect technique du dessin ne me rebutait pas puisque j'ai toujours entretenu avec lui des rapports étroits. Restait à trouver l'histoire. Dans un premier temps, je souhaitais viser un public jeune et voulait trouver un sujet adapté mais j'ai assez vite abandonné cette option. L'histoire s'est imposée à moi un jour que j'étais à mon travail – comme quoi le désir de faire un diaporama vous poursuit partout. Le temps de mûrir l'intrigue et le synopsis a été rédigé d'une traite. C'est plutôt après que les choses se sont compliquées et que l'entreprise a pris des allures titanesques.

Comment devais-je m'y prendre et par où commencer pour arriver jusqu'au mot FIN ? J'ai voulu trouver une réponse dans un ouvrage traitant du sujet mais j'ai dû déchanter très vite car il n'en existait pas. Par contre, mon ange créateur mit sur ma route un livre ayant pour thème le cinéma d'animation d'amateur. Même si mon objectif n'était pas un film mais un diaporama, autrement dit de l'image fixe, je trouvais à la lecture de ce livre de nombreux tuyaux et des renseignements très précieux concernant notamment la conception du story-board ainsi que la réalisation proprement dite.

A l'aide de cet ouvrage, j'ai commencé un important travail de préparation qui portera sur divers points comme le format des dessins, la nature du support, l'utilisation des cells (technique utilisée en dessin animé et que j'ai repris à mon compte pour certaines scènes d'Un Amour de gomme), la technique de coloriage, la couleur, l'étude des personnages, le type de pellicule à utiliser, l'utilisation de la musique, des bruitages, le genre de voix à rechercher, etc, etc. Cette préparation durera 22 mois. A la lumière de mon parcours, je peux écrire aujourd'hui qu'Un Amour de gomme n'aurait jamais vu le jour s'il n'y avait pas eu ce long travail préparatoire.
Un amour de gomme
Si dans la réalisation d'un diaporama traditionnel on peut corriger une séquence, déplacer une image, la remplacer par une autre, ce n'est pas envisageable pour un diaporama dessiné plan par plan. Là, en revanche, il est impératif de savoir où l'on va et d'y aller sans changer de chemin en cours de route. Lorsqu'on a passé plusieurs dizaines d'heure à peaufiner un dessin, on ne peut décemment pas envisager de devoir le mettre à la poubelle parce qu'on s'aperçoit tout à coup que la séquence aurait été mieux sans. Il est donc impératif d'avoir un découpage plan par plan solidement construit et renseigné. C'est donc ce que j'ai fait avant même de réaliser le premier dessin du diaporama. Pour y parvenir, j'ai commencé par faire le story-board. J'ai esquissé chaque plan sur de petits rectangles de papier épinglés ensuite sur un panneau de liège. J'ai soumis ce travail à la critique de trois ou quatre personnes de sensibilité différente et, en fonction des remarques, ai modifié certaines séquences.

J'ai ensuite dessiné chaque plan au format de prise de vue sur papier calque en prévoyant déjà à ce stade ceux qui seraient faits sur le support choisi, en l'occurrence du Bristol sans grain, et ceux qui seraient réalisés sur cell (acétate de cellulose). Le tracé de chaque calque a été encré ensuite à l'encre de chine noire. Plus de 400 heures de travail ont été nécessaires pour venir à bout de cette étape. Ce travail sur calque m'a permis d'ajuster à la perfection des plans liés entre eux. Par exemple, une scène du diaporama montre un personnage clignant de l'œil. Pour parvenir à ce résultat, j'ai d'abord fait le calque du dessin – en l'occurrence le visage du personnage en question avec l'œil non concerné par le clignement – et ensuite deux autres calques tracés à partir de celui du dessin avec seulement pour l'un, le deuxième œil avec la paupière ouverte et pour l'autre, le même œil avec la paupière baissée. La superposition des calques permettait donc d'obtenir deux plans différents : l'un avec les yeux ouverts et l'autre avec l'un des deux yeux fermés. A la projection, grâce à un aller-retour sec entre ces deux plans, j'ai pu restituer le mouvement voulu.
Un amour de gomme
Pour faire ces calques, j'ai confectionné au préalable un accessoire très important : le pupitre à dessiner selon un modèle détaillé dans l'ouvrage sur le cinéma d'amateur cité plus haut. Cet outil présente la particularité de pouvoir travailler sur un plan éclairé par en dessous et de comporter des ergots de maintien, ce qui suppose que chaque support (calque, cell ou support du dessin) soit préalablement perforé de la même manière. Une fois les calques terminés, j'ai pu rédiger le découpage plan par plan avec force détail. Avant même de commencer les dessins proprement dits, je savais la composition de chaque plan (dessin seul ou dessin + cells), les couleurs à employer, s'il y avait utilisation d'un masque ou pas, le dialogue se rapportant à la scène, la musique, le bruitage, le temps de présence à l'écran de la diapositive, bref le diaporama était écrit sur le papier.

Dernière étape avant d'attaquer la réalisation des dessins : le choix de la pellicule à employer. J'ai finalement opté pour l'Ektachrome 64 T. 2027 heures , c'est le temps qu'il m'a fallu pour effectuer les 47 dessins et les 42 cells nécessaires. Les dessins proprement dits ont été faits au crayon pastel aquarellable au format 15 x 23 cm. Les cells quant à eux ont été effectués à l'encre à dessiner sur une base de fiel de bœuf.

Au fur et à mesure de l'avancement des dessins, je prenais les photos des plans terminés en ayant soin de photographier sur une même pellicule les plans d'une même scène afin d'éviter les écarts chromatiques. Au retour du laboratoire j'examinais les vues et contrôlais qu'il y avait concordance avec le travail déjà effectué. Autant dire que toute la partie image de ce diaporama a été faite pas à pas. Face à la somme de travail que représente une telle réalisation, je n'envisage pas une seule seconde de me lancer à nouveau dans pareille aventure, même si j'ai eu un vrai plaisir à la vivre.
Un amour de gomme
Si la partie image a été longue à accoucher, il y a eu ensuite toute la partie son à assumer et, là aussi, il a fallu des heures et des heures de travail. Trouver les voix d'abord... Habitant une ville à vocation universitaire, j'ai pu intéresser nombre de candidats et de candidates parmi les étudiants pour s'essayer à ce travail. J'ai dû opérer une vingtaine d'auditions pour sélectionner 6 voix. Les intervenants ont été rémunérés en fonction de l'importance de leur rôle. Il y a eu ensuite l'enregistrement des bruitages. La bande son d'Un Amour de gomme fait appel à une trentaine de bruitages différents. La plupart ont été "fabriqués". C'est une technique, soit dit en passant, passionnante à expérimenter et qui fait partie de la créativité du diaporama.

Une fois tous les sons engrangés, la partie montage son proprement dit a commencé . Avant d'entamer ce travail, j'ai tracé sur papier le contenu de la bande son au quart de seconde près. Schéma qui a été un guide on ne peut plus précieux tout au long de cette phase de la réalisation, d'autant que pour ce montage j'ai travaillé aux ciseaux - c'est-à-dire en coupant la bande magnétique. Point de logiciel de montage son, du travail à l'ancienne 100 %. J'ai constitué trois bandes mères : une comportant principalement du texte, une principalement du bruitage et une enfin de la musique. J'ai mixé ensuite ces trois bandes pour obtenir la bande son finale. Restait à synchroniser son et image et, là encore, point d'informatique pour venir à mon aide... Seulement un guide des manœuvres à exécuter sur la réglette du Simda F101 et du par cœur pour obtenir une synchro propre et des fondus impeccables. A comparer avec les facilités qu'offrent aujourd'hui les logiciels de création de diaporamas, j'ai l'impression d'évoquer un temps qui paraît bien loin alors que c'était seulement hier.

L'aventure de la réalisation terminée au terme de sept années (!), je me suis risqué à présenter ce diaporama dans un festival. C'était à Montpon-Menesterol, au festival de l'image, le 22 novembre 1997. Un Amour de gomme naissait au public et le jeune diaporamiste que j'étais poussait du même coup la porte d'un milieu méconnu. Je n'ai rien oublié de cette première fois et les deux prix obtenus, celui du public et le deuxième prix du jury, ont gardé une saveur toute particulière.

Bernard Basse - 2006

Ce montage n'est pas numérisé et la particularité de certains fondus ne me permet pas de l'envisager. (*)
Pour ceux que cela intéresse, j'ai rédigé une plaquette décrivant point par point la méthode de travail utilisée pour mener à bien ce diaporama. Son titre : "UN AMOUR DE GOMME, de l'idée à la projection". Elle s'accompagne d'un CD-ROM retraçant la carrière de ce montage et incluant un résumé de l'histoire en 30 images. Pour me contacter, se référer aux coordonnées inscrites dans les annuaires FPF ou FIAP ou m'envoyer un courriel.
(*) Mise à jour février 2012: Bernard Basse m'informe que son diaporama a finalement été numérisé et qu'il figure dans la collection permanente de la FIAP. Les personnes intéressées peuvent prendre contact avec lui à l'adresse ci-dessus.


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